Textimages

Le couple de la rue coupe-gorge

C’est un p’tit bonhomme tout vilain,

Qui la regarde les yeux dans les seins

Petit bonhomme vraiment vilain,

Un prince du Vice, pas anodin

 

Il arrive avec ses valises

Bourrées de gadgets, sac à surprises

Avec des bruits des bouts des tiges

Des moteurs du jus des prises.

Je les vois passer de ma fenêtre, silhouettes décidées fendant la nuit et aspergés en pointillés de la lumière des réverbères de la rue coupe gorge.

Aquarelle et feutre – 17x22cm –

Personne ne les aborde, voyageurs de la nuit qui ne regardent personne, elle autoritaire lui ouvrant le passage pour qu’il passe avec ses valises le plus vite possible. Ils ne se parlent pas, ils ne parlent qu’au portier de nuit qui teste toujours son « petit déjeuner? » quand il entrevoit le plissé des bas aux chevilles perchées et les mains qui maintiennent le col du manteau fermé bien haut, et ces deux physionomies complices de gamins qui préparent un coup et qui ont un air d’autant plus louche qu’ils s’appliquent à faire poli et normal.

Un petit bonhomme chargé et une dame en noir qui serre son col avec ses mains gantées, drôle de couple drôlement pressé.

Ils sont bizarres comme tout quand ils montent, elle longue tige oscillante et lui courbé allant vite, très vite, vers la porte où ils vont se lâcher, déballer, frapper, cingler, jouir et râler.

Ils n’ont pas besoin de se parler beaucoup, ils se sont parlés une fois « c’est bon pour moi » et pour vous ? çà va. Si ça n’allait pas… bah on verra.

« Oui mais je suis vraiment très vicieux ! »

« on verra aussi».

 

Il ne paye pas de mine ce p’tit homme là, et elle c’est sans doute un gros cas.

A coups de fouets et de bleus, à coups de lanières et de sangles et sang clairci, à coups de boutoirs et poings et de mains, à la zébrure et à la claque, à la suce que veux-tu, à la foutre qui toi tue, ils ne se vouvoient souvent plus. Et ainsi fusent ils, heureux parachutistes accrochés aux sifflements de ces tempêtes sublimencielles.

Ils se haranguent, ils se caltent, ils se me, se trituent, se griffouettent, s’embrochent et se sciurent, se remplissent de sels, de sueurs, de glues, de douleurs, de hapeurs

Il cherche son or du bout de ses doigts, elle est une mine inépuisable, chercheurs mineurs en dol majeur, heureux pionniers de cette montagne veinée de couloirs si longs et de fenêtres sur cours. Elle pourrait creuser jusqu’au magma s’il ne savait pas dire « çà va, suffit, c’est bien ».

Il faut retrouver la sortie, le fil d’Ariane pour ssssortiiire. Il lui caresse l’épaule, une fesse, cherche dans ses yeux pour la retrouver, il sourit, il parle, il est toujours un peu inquiet, il essaie d’être tendre, elle ronronne à sa paume et revient.

Il lui raconte,  elle l’écoute d’une oreille en réajustant ses précieux bas.

« Va te voir.. », elle ne se regarde que de dos, un bref coup d’œil dans le miroir, et elle lui sourit. Ils éclatent de rire.

 

C’est elle qui rend la clé. Le portier de nuit est toujours un peu surpris.

« Mais il faut garder la carte, vous la remettrez demain »

« je ne reviens pas »

« Ah »

« Sauf pour vous dans 15 mn si vous voulez »

………………..

 

Elle sort, ils rient.

« Alors, qu’est-ce qu’il a dit ? »

« Rien »

« Bon, on verra si on revient. Il est vraiment bête il ne t’a pas crue.»

 

Le drôle de couple traverse la rue déserte au milieu de la nuit, toujours flanqué des deux valises qui sont moins bien fermées qu’à l’aller.

 

Je les vois revenir et récupérer leur voiture. Ça rit dans la voiture, je vois une jambe qui sort, la main gantée qui tient la portière, et çà discute encore. Quelques signes de la main, « oui tout droit, à gauche c’est bon, bon retour » « à une prochaine » Elle descend, part en souriant, et la petite voiture part en trombe. Elle surveille son sac en marchant vite.

 

C’est drôle la nuit, quand on regarde.

C’est même parfois là qu’on s’y retrouve.